Les interprétations deux ans après…
Revenons sur terre. Deux ans après les événements, en 1970, les sociologues Bénéton et Touchard avaient répertorié les interprétations données alors à la crise, qui toutes se présentaient comme exclusives :
- La thèse d’un complot : développée à chaud, pendant les événements, par De Gaulle et Pompidou, cette thèse présentait Mai 68 comme monté par le Parti communiste.
- La crise de l’université. Le nombre d’étudiants explose au cours des années 1960, accueillant des populations totalement nouvelles, issues de la classe moyenne, mais moins assurées d’obtenir un statut social important à l’issue de leurs études. La marginalisation sociale des étudiants aurait été selon d’autres le fait déclencheur de la crise.
- Une révolte de la jeunesse, un coup de sang, comme un carnaval ou une bacchanale. Pas d’autre explication ici qu’un « pétage de plomb ».
- Une crise de civilisation, remettant en cause la société de consommation et par contrecoup les valeurs de progrès issues des Lumières qui, finalement, ne semblaient pas mener à grand chose d’autre qu’au développement de la consommation.
- Un nouveau conflit de classes, opposant non plus les travailleurs contre les détenteurs du capital, mais l’ensemble des professionnels contre les technocrates qui contrôlent désormais les grands secteurs de l’activité sociale.
- Un conflit social traditionnel, suite à un fléchissement de la production et un accroissement brutal du chômage, quatre fois plus élevé en 1968 qu’en 1964 (mais ce chômage, vu de 2008, semble bien dérisoire puisqu’en avril 1968 on recensait 245 000 demandeurs d’emploi…). Pour le Parti communiste, ce sont les grèves ouvrières qui « font » Mai 68, l’explosion étudiante n’étant qu’un détonateur occasionnel.
- Un enchaînement non voulu de circonstances fâcheuses : une université (Nanterre) importante mais coupée de l’extérieur, des projets de réforme annoncés mais qui tardaient trop, l’envoi de la police dans la Sorbonne qui met le feu aux poudres, l’absence du Premier ministre puis du Président de la République en voyages protocolaires à l’étranger, etc.